Un amour infini
Je voudrais vous raconter une histoire, une histoire folle, rocambolesque, excitante, parfois dramatique mais aussi joyeuse et souvent merveilleuse. Cette histoire, c’est ton histoire, notre histoire, mon amour.
Notre histoire commune, elle débute il y a 53 ans, ce jour où j’ai croisé la route de Philippe, un énergumène aux grands bras, aux grandes jambes qui s’agitaient et qui prenaient toute la place.
Ce jour là, tu t’es installé dans ma vie et tu y a pris toute la place.
Alors, tu m’as emmenée sur ta route, tu m’as emportée en haut vers des sommets sublimes, et brutalement la route descendait dans des précipices vertigineux !
Il n’y avait pas de plat sur cette route, non, pas de plat, rien de terne, rien d’ordinaire, rien d’ennuyeux.
Qu’est ce que c’était formidable, mais aussi tellement fatiguant.
Alors, de temps en temps, je criais STOP, je veux descendre, faire une pause.
Je descendais du manège, essoufflée, déboussolée, étourdie,… mais tu me rattrapais par la taille et tu me remmenais sur ton manège déchaîné.
Un manège fou, lance à grande vitesse, qui traversait des paysages fantasmagoriques que tu inventais.
Et puis il y avait le jeu. Tu jouais tout le temps. Alban, notre fils m’a dit il y a quelques mois, « en fait, Papa a toujours été un enfant et il sera toujours un enfant ».
Oui, en effet, tu étais un enfant, et, comme tous les enfants, tu passais ton temps à jouer, à jouer de tout, toutes tes activités se transformaient en jeu :
Tu ne faisais pas d’études, non, tu jouais avec les formules algébriques, logarithmiques, trigonométriques..
Tu ne travaillais pas, non, tu jouais avec les banquiers, avec les notaires, tu jouais avec les dossiers de prêt de tes clients de l’immobilier, des dossiers tellement bien ficelés que rien ni personne ne pourrait empêcher que le dossier soit accepté
Tu ne gagnais pas d’argent, non, tu jouais à le distribuer, à le donner aux mendiants, aux clients qui ne pouvaient pas payer, aux collaborateurs qui en manquaient, en échange d’un sourire, d’une amitié, d’un moment partagé. C’était tellement plus important qu’un morceau de papier.
Alors, tu rentrais, tu m’apportais un bouquet de roses rouges pour te faire pardonner.
Et quand tu effeuillais la marguerite, tu ignorais les pétales « un peu»
«beaucoup », tu ne connaissais que « je t’aime passionnément » ou« je t’aime à la folie ».
Dès que l’ennui pointait son nez, tu faisais une pirouette, tu fuyais, ou tu inventais une autre réalité. Tu fuyais la routine, l’ennuyeux, pas par souci de te distinguer, ça c’est un sentiment qui t’était étranger, non, par souci de tout magnifier, de tout rendre palpitant, plus fort. Tout était bon pour oublier ton enfance, le drame permanent de parents qui se déchirent.
Tu voulais vivre intensément et tu as vécu intensément, sans limites, d’ailleurs tu ne savais pas où étaient les limites. De temps en temps, quand tu sentais la routine s’installer, tu me disais « Pars en voyage, pars s’il te plaît, je veux que tu me manques, être malheureux à en crever, je vais t’écrire, je vais t’aimer encore plus, et, quand tu rentreras, je veux rouler à 200 à l’heure pour aller te chercher. Quand je rentrais, tu m’avais écrit des poèmes, rempli des pages de ta petite écriture serrée.
Les contraintes de la vie quotidienne, les corvées, tu les transformais en aventures et en défis :
Quand tu devais entretenir les boiseries, les poncer, les vernir, tu le disais « je vais faire du Beau », et tu faisais du beau, avec soin.
Quand le repassage s’accumulait et que tu sortais le fer, tu me disais « je vais me mettre en onde alpha, et je vais voyager, je te raconterai ».
Quand, il fallait faire les courses, tu préparais une blague pour ta caissière préférée ou pour ton copain le poissonnier.
Tu as vécu comme tu as voulu, intensément, en fumant trop, en buvant trop, en parlant trop fort, mais tu es parti sans regrets, tu as vécu ta vie comme une fête dans laquelle tu m’as embarquée. C’était magnifique, féerique parfois tragique, mais toujours très fort.
Ton dernier jeu, c’était la roulette russe, l’angoisse, la trouille qui te broie. Tu faisais tourner le barillet, encore plus de tabac, plus d’alcool, puis tu allais au résultat, tu demandais un scanner, et tu rentrais triomphant, tu avais gagné, « il n’y a rien, je suis immortel ! » tu me disais.
Et puis un jour, la maladie a pris la main, la mort allait gagner.
Tu ne t’es pas plaint, tu connaissais les règles du jeu.
Tu as jeté tes dernières forces dans des jeux que tu imaginais pour égayer ton agonie, pour que la vie avec toi reste légère, tout tourner en dérision, ne pas geindre, ne pas pleurer, encore rire, s’amuser.
Tu créais des jeux de mots, des blagues, des petits scénarios que tu mettais en scène pour la venue de ton infirmière, pour les RV chez les médecins.
Mais la mort ne t’as pas vaincu, elle t’a libéré de ce corps qui ne répondait plus.
Tu n’es pas dans cette boîte, non, tu voles, là autour de nous, tu concoctes des blagues avec les anges, tu voles comme ce papillon qui est apparu dans notre jardin le lendemain de ton départ, un papillon qui butine, qui s’amuse, et vole, et vole.
Alors, vole, vole mon amour, trouve enfin la sérénité et la félicité.
Vole, vole, rejoint ton monde de magie, de fête, ton monde sans limites, ton monde d’amour infini.